Electricité : comment la France peut-elle accélérer le développement des éoliennes ?

Alors que les prochains réacteurs nucléaires ne sont pas attendus avant 2035, la France doit absolument accélérer sur le terrain des énergies renouvelables pour assurer sa sécurité d’approvisionnement tout en visant son objectif de neutralité carbone.
La France va se laisser porter par le vent dans les prochaines années. Après un hiver qui a révélé la fragilité de son approvisionnement en électricité, le pays compte accélérer sur deux leviers: le nucléaire et les énergies renouvelables. Mais les horizons ne sont pas les mêmes entre les deux sources de production et les prochains EPR2 ne sortiront pas de terre avant la prochaine décennie, ce qui oblige l’Hexagone à miser largement sur les énergies renouvelables pour répondre à la demande d’électricité qui va croître.
Lors de son dernier point presse, RTE a estimé que la consommation électrique pourrait se situer autour de 650 TWh en 2035, alors que le parc nucléaire ne devrait pouvoir couvrir que 350 TWh. Les énergies renouvelables ne produisant actuellement qu’à hauteur de 120 TWh, il reste donc un écart conséquent à combler.
« Les parcs éoliens en mer ne permettront pas de le faire d’ici là donc il reste le solaire mais ce sera insuffisant », explique Jérémy Simon, délégué général adjoint du Syndicat des énergies renouvelables (SER).
Le salut du système électrique français va donc reposer en partie sur l’éolien terrestre alors que des difficultés d’approvisionnement devraient persister jusqu’en 2026 selon Mattias Vandenbulcke, directeur de la stratégie de France Energie Eolienne (FEE).
« Comme dans tous les pays tempérés, l’éolien va être très présent par rapport au solaire car notre demande d’énergie en hiver est 50% plus élevée qu’en été et il y a beaucoup de vent en hiver, ce qui suit notre consommation », indique Cédric Philibert, expert de l’énergie.
Le repowering, « faire mieux avec moins »
Aujourd’hui, les 9000 éoliennes françaises représentent une capacité déployée d’environ 21 GW et comptent pour près de 9% de la production d’électricité, ce qui en fait la troisième source derrière le nucléaire et juste derrière l’hydroélectricité. Et le secteur éolien n’attend pas l’arrivée des nouveaux parcs pour augmenter sa puissance. C’est dans cette optique que de nombreuses opérations de renouvellement, ou repowering, ont lieu 20 ans après la mise en service des premières installations dans le sud-est de la France. Grâce au progrès technologique, les nouvelles éoliennes ont des rotors et des pâles plus hautes qui leur permettent d’aller capter d’autres vents et d’améliorer leur performance.
« Le renouvellement, c’est faire mieux avec moins à présent, résume Mattias Vandenbulcke. Pour un parc de 5 éoliennes qui ont chacune 1 MW de puissance, on en enlève deux et on installe 3 machines qui ont chacune 3 MW de puissance. »
« Quand on a la maîtrise foncière et un soutien des élus et des riverains, on va essayer de mettre moins de machines mais qui sont plus grandes pour doubler la production », confirme Jean-François Petit, directeur général du constructeur et exploitant Qenergy. Mais ces opérations de repowering ne seront pas suffisantes à terme, notamment au regard de l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050. « Sur l’éolien terrestre, on souhaite multiplier la puissance déployée par 2,5 pour atteindre environ 50 GW mais dans nos scénarios, l’Ademe préconise plutôt de dépasser les 60 GW », souligne Paul Franc, ingénieur et membre du Service Électricité Renouvelable et Réseaux de l’agence.
Des obstacles au développement
En moyenne, il faut compter 7 années pour qu’un projet éolien se concrétise en raison de la réglementation française stricte qui inclut des études environnementales, patrimoniales et sur les questions paysagères.
« Au-delà des délais d’instruction, les contraintes de l’éolien terrestre sont aussi techniques, insiste Sarah Dalisson, responsable de l’éolien terrestre au SER. En raison de contraintes spatiales et aériennes, on ne peut pas forcément augmenter la hauteur des éoliennes dans certaines zones. »
Les 200 mètres de hauteur des éoliennes peuvent gêner des couloirs aériens qui doivent rester libres pour l’aviation militaire. Par ailleurs, des radars militaires et météo empêchent l’implantation de nouvelles infrastructures sur plus des deux tiers du territoire français.
« D’un côté, on dit qu’il faut accélérer sur les renouvelables et de l’autre côté, la guerre en Ukraine a réveillé la nécessité d’accentuer la défense nationale », observe Paul Franc.
Les procédures de renouvellement elles-mêmes souffrent de limites. « Elle est organisée de manière à ce qu’on ait un seuil d’augmentation de la hauteur des éoliennes à partir duquel le préfet va décider si l’augmentation est substantielle ou non, détaille Sarah Dalisson. En dessous de 10%, elle est non substantielle, elle l’est au-dessus de 50% et entre les deux, c’est à l’appréciation du préfet et s’il estime qu’elle est substantielle, le projeteur doit forcément obtenir une nouvelle autorisation environnementale, ce qui allonge les délais. »
Pire, ce risque d’étape supplémentaire entraîne une forme de censure chez les développeurs qui réduisent leurs opérations de renouvellement. À cela s’ajoutent des problèmes d’approvisionnement, car les machines de puissance plus faibles et plus petites deviennent rares sur le marché.
Intégrer les élus locaux dans la planification
La récente loi d’accélération sur les énergies renouvelables pourrait jouer un rôle dans la levée partielle de certains obstacles. Dans son cadre, des cartes vont être réalisées pour cartographier toutes les contraintes militaires, foncières, patrimoniales et liées à l’habitation ou aux différents radars afin d’identifier les « zones d’accélération ». Et pour cause, la moitié des éoliennes françaises sont aujourd’hui concentrées dans les Hauts-de-France et le Grand-Est. Dans chaque région, les élus locaux vont être co-responsables dans le développement des énergies renouvelables à travers une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui sera régionalisée.
Par ailleurs, l’un des objectifs phare de la loi d’accélération est de simplifier les procédures administratives qui en réduisant les délais d’instruction et de traitement des recours de contentieux.
« En réalité, elle n’accélère pas grand-chose, il y a juste des délais plus courts de quelques mois dans certaines phases de la procédure », déplore Cédric Philibert.
À plus long terme, Paul Franc espère que la meilleure planification des projets éoliens en incluant collectivités et citoyens permettra de réduire sensiblement les recours. Pour rendre ces projets plus populaires, l’une des pistes envisagées est de proposer une électricité moins chère aux habitations situées à proximité du site. Il y a quelques mois, une circulaire a déjà été envoyée aux préfets pour accélérer le traitement des dossiers et signer les autorisations alors qu’environ 10 GW de projets sont actuellement en développement.
Et l’éolien off-shore?
Depuis quelques mois, la France recense un parc éolien en mer en fonctionnement et d’autres devraient suivre alors que le pays ambitionne d’atteindre 40 GW de puissance déployée d’ici 2050 pour rattraper son retard sur plusieurs pays bordés par la mer du Nord.
« La France recense un tiers des capacités de production européennes sur l’éolien en mer, rappelle Mattias Vandenbulcke. On a mis 12 ans à développer le parc éolien de Saint-Nazaire et on va avoir la première volée de parcs attribués il y a 10-12 ans qui vont rentrer en service. Maintenant, il faut que l’Etat lance les prochains appels d’offres très vite pour pas qu’on se retrouve avec un trou de plusieurs années. »
La France a notamment l’avantage d’être particulièrement en avance sur la technologie de l’éolien flottant qui va se répandre à l’avenir. « L’éolien terrestre est l’énergie renouvelable la moins chère quand on la rapporte au coût du MWh mais quand on parle de l’éolien offshore, il faut avoir conscience que ce sera beaucoup plus cher », tempère Paul Franc. En effet, si le coût de l’éolien français a globalement baissé depuis deux décennies, il a subi un sursaut non négligeable en raison de la flambée des prix du gaz, des répercussions de la guerre en Ukraine et de l’envolée des prix de certains matériaux critiques. « Cela a ralenti le développement de certains projets et en a rendu d’autres moins viables économiquement, voire plus du tout », indique Jean-François Petit.
« Des opérations ont été signées avant le second semestre 2021 et ont du mal à avancer aujourd’hui », évoque Cédric Philibert.
Pour Mattias Vandenbulcke, le développement des énergies renouvelables et notamment de la filière éolienne est étroitement lié à la loi « industrie verte »: « Les énergies renouvelables reposent sur des acteurs industriels. Si on veut qu’il y ait une industrie française et des investissements, il faut qu’il y ait des volumes et de la visibilité. La transition énergétique et la reconquête industrielle, c’est la même chose. »
Publié sur BFMTV.com