Transition électrique: la France entre dans le dur

Avec la baisse du productible nucléaire, les retards dans le déploiement des énergies renouvelables et la fin annoncée des centrales au charbon l’insécurité électrique menace l’Hexagone. Mais des parades existent, souligne RTE, dans son Bilan prévisionnel, publié ce 20 novembre.
Cette fois, on ne rigole plus. La transition énergétique est en marche. Elle bouscule le système électrique français. Et provoque quelques frayeurs chez le responsable de son équilibre. Publié, ce mercredi 20 novembre, le Bilan prévisionnel que dresse RTE pour les 6 prochaines années n’est pas des plus rassurants, tant les marges de la sécurité d’approvisionnement en électricité diminuent.
Jusqu’à présent, les Français pouvaient dormir sur leurs deux oreilles. La surcapacité du parc de production d’électricité tricolore leur garantissait qu’à tout moment les centrales injectaient autant d’électrons que les usagers n’en soutiraient. Cette ceinture était combinée avec les bretelles constituées par les interconnexions avec les pays voisins.
TEMPS BÉNI
Ce temps béni est en passe d’être révolu. Pour des questions économiques et environnementales, les électriciens français, à commencer par EDF, ont arrêté 12 GW de capacités au fioul et au charbon entre 2012 et 2018 : l’équivalent de 10% du parc électrique actuel.
Dans le même temps, les durées des travaux de maintenance à réaliser sur les réacteurs nucléaires ne cessent de s’allonger : grand carénage et préparation des quatrièmes visites décennales des tranches de 900 MW obligent. Réduisant d’autant la disponibilité du parc électronucléaire. Enfin, le foisonnement des centrales photovoltaïques est moindre que prévu. Selon la dernière programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en date, la France devait disposer de plus de 10 GWc de capacités solaires à la fin de 2018. Un an plus tard, elle n’en compte toujours que 8 GWc. Des tendances appelées à se poursuivre, souligne RTE.
INTERMINABLES AVANIES
Dans quelques mois, la France arrêtera définitivement les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim (1.800 MWe) et 3 GWe de centrales au charbon. Comble de malchance, la construction de la troisième tranche de la centrale nucléaire de Flamanville (1.650 MWe) connait d’interminables avanies. Au mieux, le réacteur normand divergera à la fin de 2022, voire en 2023.Un peu tard pour compenser les départs à la retraite des centrales au charbon de Cordemais (Loire-Atlantique), Saint-Avold (Moselle), Le Havre (Seine-Maritime).
Résultat: mieux vaut espérer qu’aucun incident sérieux ne perturbe notre approvisionnement électrique. Car les marges de sécurité ont fondu comme neige au soleil. «La sécurité d’approvisionnement demeure assurée au sens du critère règlementaire, mais sans marge supplémentaire», confirme RTE. Un comble pour un pays plus connu pour sa surcapacité de production que pour ses risques de pénurie d’électrons.
NOMBREUX RETARDS
La situation devrait se tendre un peu plus dans les prochaines années. Car, les premiers parcs éoliens marins n’entreront pas en service avant 2021, 2022. Avec trois à quatre ans de retard. En Bretagne, la nouvelle centrale à gaz de Landivisiau (désormais propriété du groupe Total) devait être mise à feu en 2016. Si tout va bien, elle injectera ses premiers MWh à la fin de 2021. Initiées en 2013, les prochaines interconnexions avec le Royaume-Uni (Ifa2) et l’Italie (Savoie-Piémont) n’entreront en service qu’en 2021. Là encore avec retard. RTE identifie un point de «vigilance» entre 2022 et 2023. «Si le développement des énergies renouvelables se poursuit durant cette période, en l’absence de mise en service de l’EPR de Flamanville, il ne suffit pas à compenser les fermetures réalisées», met en garde le gestionnaire du réseau de transport d’électricité.
ACTIONNER PLUSIEURS LEVIERS
En conséquence, la filiale d’EDF, de la Caisse des dépôts et de CNP Assurance propose d’actionner plusieurs leviers. A commencer par la baisse de la demande d’électricité en période de pointe. Pour ce faire, RTE prévoit d’étendre au niveau national le dispositif Ecowatt, jusque-là réservé aux péninsules électriques de Bretagne et de Nice.
A EDF, l’exploitant des lignes à très haute tension demande de tenir ses calendriers de travaux dans ses centrales nucléaires. Mais surtout de poursuivre l’exploitation des deux chaudières au charbon de la centrale de Cordemais. Quitte à les modifier pour brûler de la biomasse, en utilisant le procédé EcoCombust, dont le ministre chargé de l’énergie avait pourtant annoncé l’abandon en avril dernier. Ce dispositif durera aussi longtemps que l’EPR de Flamanville restera en construction.
La tension devrait retomber avec l’inauguration des premiers grands parcs éoliens marins et la mise en service de Flamanville 3. «Il est à peu près certain que la situation s’améliorera même si l’EPR de Flamanville est repoussé de manière plus lointaine», assure Thomas Veyrenc, directeur de la stratégie et prospective de RTE.
Initialement publié sur Journal de l’Environnement